Jean Tromme/ info@tromme.be/ +32 471 471 067

jeantromme


Jean Tromme poursuit depuis plusieurs années une pratique sculpturale dans son atelier-fonderie.

Son travail a sans cesse évolué vers un essentiel dans la forme et son propos.

Il tend vers une épure où l’œuvre est donnée à la libre interprétation du regardant. Le « Faire sculpture » est prédominant dans sa pratique. Il en connait les atouts et les inattendus heureux.

Que ce soit dans ses grandes installations, ses bas-relief en aluminium, les grilles en bronze ou encore ses architectures en bois, son travail de transformation sémantique et matériel questionne les liens entre volume et plan, entre contenu et contenant, entre le matériau et son rendu intelligible. La pièce au premier degré n’est qu’un prétexte, l’important est le reste, l’essentiel et l’imperceptible.

De part le contour physique de ses œuvres, il cherche à nous montrer les limites de toute chose et leur intégration dans l’espace: muss es sein? es muss sein !

Formé à la sculpture, Jean Tromme est également architecte et professeur de sculpture aux Beaux-arts de Liège. Son travail est régulièrement exposé par des institutions publiques et autres galeries privées. 

16 pièces

« Il faut des mains pour contrarier par-ci, par-là, le cours des choses » assurait Paul Valéry dans un discours en 1938.

La visite de l’atelier de Jean Tromme me ramène à l’esthétique du poète. Valéry avait fondé ses recherches sur l’étude de la main et du faire artistique et, de manière novatrice, il déplaçait l’attention de l’œuvre achevée vers l’acte de production. A l’idée « pauvre et magique » de création, le penseur préférait la notion de transformation.

Aujourd’hui, dans la continuité des intuitions de Valéry, une philosophie de la plasticité prend acte d’un passage à l’ordre du faire et propose une nouvelle ontologie: « le changement vient avant l’être (…) la transformation prime sur la fixité » ; Pour Catherine Malabou, « La plasticité est structure de transformation et de destruction de la présence. »

Ainsi, à l’heure où la première proposition de l’adage « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » n’est plus vérifiable scientifiquement, Jean Tromme propose en son atelier de revenir à l’âge du bronze et de la trace.

L’installation Le jardin de mon père que j’avais eu le plaisir de découvrir en 2020 aux Brasseurs à Liège, témoigne de la démarche du sculpteur : un jeu sur les possibilités de transcription de ce qui – choses ou gestes – est voué à la disparition, au renouvellement permanent. Ici, de fines pièces de bronzere constituent un ensemble de végétaux- jeune hêtre, fougère, chicorée… – sélectionnés par l’artiste sans distinction de genre et de classe, pour rendre compte de leur simple présence fugace dans le jardin de son père.

 

Pour cette nouvelle exposition, Jean Tromme annonce sobrement 16 pièces, toutes réalisées au cours de l’année. Devant le foisonnement de l’atelier, on soupçonne qu’ « il y en aura peut-être davantage. » Et, au moment de la visite, nous sommes prévenus : « Il faut que je finisse ». On comprend que cette finition est en quelque sorte sans fin, que l’exposition va venir, de la même manière que le bronze est capable de figer un état transitoire, fixer un processus de travail, un « faire sculpture » ainsi que l’artiste, également pédagogue, a pu le formuler par ailleurs.

 

« Grille », « 4 x 20/20 », « 100 x 100 », « vues d’exposition », « hors socle »… les 16 pièces présentées chez Bonnemaison revisitent le vocabulaire, les motifs et les modes de présentation de la sculpture minimaliste du XXème siècle. Ces formes esthétiques héritées (quelque part du jardin de ses pères…) et à priori révolues font ici l’objet d’une refonte en même temps qu’elles sont coulées dans le bronze. Un acte de production, un geste plastique non contradictoire qui affirme encore que la transformation prime sur la fixité.

Sophie Langohr

 

“Le jardin de mon père” de  Jean Tromme

Le jardin de mon père’, j’avais besoin de le faire. C’est un moment. Là, une fougère 

que j’ai vue pendant trente ans; ici, un jeune hêtre et là, une chicorée.”

Ainsi, Jean Tromme s’est fait cueilleur. Un gars qui ramasse l’un ou l’autre végétal. Simplement parce qu’il a poussé là. Ni beau, ni laid, mais là.  Anodinement voué à l’éphémère. Invisible aux yeux du monde et pourtant là. Le choisir pour ces motifs, sans autre intention que de révéler l’ordinaire perfection inhérente au végétal.  Tranquillement, calmement, longuement ensuite se déroule le travail du sculpteur. Une progression laborieuse, d’étape en étape, chacune exigeant soin, technique et précision. Pour qu’enfin, le souvenir de la brindille ramassée s’incarne dans l’imputrescible métal. Arrimée à jamais à un socle qu’aucun vent n’emportera. Rivée pour toujours à un tronc dont la seule raison d’être est de ne jamais la lâcher.  “Je construis un arbre avec des barres qui vont en s’affinant pour tenir la plante. Parce que ce qui compte, c’est la plante. Il n’y a pas de ruse,  la structure doit être distinguée de la plante.”

 

Paradoxe que pour retenir l’évanescence, il faille en sacrifier la substance, figée dans l’invisible d’une cire perdue.

Mais fameux pied de nez à la finitude, où le métal -une fois n’est pas coutume – se fond sur les courbes de la fragilité. Pour en faire du lourd, contrepoids massif au flux rapide des pensées, des amours et des produits. Contrepoids à la voracité de nos existences.

Sans doute, Jean Tromme a-t-il dans les tréfonds de son inconscient, la trace de la mythologie médiévale attribuant au bronze le pouvoir d’union des opposés dans un perpétuel mouvement.

 

Et c’est ici, dans cet univers d’effluves de la suée des gueules noires, dans le sillage de ces communautés invisibles et révolues qui ont subi le joug du paternalisme patronal, que vient se poser “Le jardin de mon père”. Comme l’écho qui vibre encore bien longtemps après le cri, comme l’assurance que le vide est pour toujours la maison de ce qui fut. A Bois-du-Luc,  “Le jardin de mon père” se gonfle en un buisson, sans flamme et cependant ardent, un buisson qui nous regarde. Et la puissance poétique qu’il irradie nous étreint l’âme d’une infinie mélancolie. D’une tendresse pour le  “si peu”  qui porte tant de beauté.

 

Les dentelles ont entamé un nouveau chemin de métamorphose : le temps désormais déposera ses couleurs dans le métal irisé, l’oxydation  se chargera d’un chatoiement en constante évolution.  ” Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”.

 

Prêtant bien l’oreille, à coup sûr entendrons-nous monter du buisson de Jean, le chant secret d’un jardin bien vivant : qui sait jusqu’où le bronze, médium du son,  perpétuera la vie de ce qu’il épouse?  De l’épouse rien ne sera dit.

“Le jardin de mon père” est l’expression d’une spiritualité singulière et solitaire, un rituel à la marge, une ode à ce qui passe.

 

L’éphémère… les fées mères?

                                                                                                                             Marie-Eve Maréchal